Association de Sauvegarde du

CHATEAU DE GAVRAY

Le rattachement de la Normandie 1204 - 1226

Cette période est marquée essentiellement par le règne de Philippe II, dit Philippe Auguste, fils de Louis VII et Adèle de Champagne. Il conquiert militairement le duché de Normandie, y développe  une politique d’assimilation avec fermeté et accommodements en respectant, pour l’essentiel, ses spécificités dont la « coutume normande ».

  Portrait de Philippe Auguste

1204 – Philippe Auguste prend la forteresse de Château-Gaillard après un siège de 6 mois, cette victoire lui ouvre la porte de la Normandie. La prise de Château-Gaillard a un retentissement important, Jean Sans Terre est reparti en Angleterre sans rien avoir tenté de sérieux pour défendre cette forteresse hautement stratégique et laisse les Normands abattus. Philippe Auguste se lance, alors, dans une campagne visant à soumettre l’ensemble de la province. Rouen, sa capitale, constitue une pièce maîtresse à laquelle, depuis trois siècles, les rois de France se sont souvent heurtés.  
De son côté, son allié breton, Guy de Thouars, faisant fonction de duc de Bretagne, attaque la Normandie par l’ouest. Il conquiert le Mont Saint Michel, frontière traditionnelle entre la Bretagne et la Normandie, et y met le feu, destruction dramatique sur le moment mais qui permettra, plus tard, la reconstruction du chef d’œuvre de l’art gothique : « La merveille ».
Le 25 avril – Naissance de Louis de France, 4ème fils de Louis VIII et Blanche de Castille, comte d’Artois.
Le 2 mai,  début de la phase finale de la conquête, Philippe Auguste coupe Rouen de ses arrières en prenant, en quelques jours, plusieurs localités : Pont-de-l’Arche, la Roche-Orival, le Neubourg, Moulineaux et Montfort-sur-Risle. Le flamand Roger de Gouy livre le 7 mai Argentan, puis Falaise tombe le 14, après un siège de 7 jours, Caen, qui abrite le Sénéchal de Normandie, est pris pratiquement sans combat le 21. Philippe Auguste le poursuit à Rouen, où il s’est réfugié, et entame le siège vers la fin mai. Rouen, commandé par Pierre de Préaux, assisté de l’élite des barons du voisinage, est prêt à soutenir un long siège, et pourtant…….
Le 1er juin, La ville signe un accord stipulant la reddition en cas d’échec ou d’absence de secours dans les trente jours suivants. Arques et Verneuil-sur-Avre s’associent à cet accord liant ainsi leur sort à celui de Rouen.
Le 24 juin, Rouen se rend sans combattre, la peur de perdre, en cas de résistance trop longue, les avantages commerciaux dont elle bénéficie à raison des assiégés. Philippe Auguste fait raser l’ancien château ducal et les murailles et entreprend la construction d’une nouvelle forteresse, les nouveaux officiers royaux font montre d’arrogance vis-à-vis de la population.
La Normandie continentale appartient désormais à la couronne de France. Faute de disposer de la flotte, qui lui est nécessaire, Philippe Auguste oublie les îles Anglo-Normandes, qui restent sous le contrôle du royaume d’Angleterre. 
1206 – John Lackland, dit Jean Sans Terre, roi d’Angleterre, n’a pas renoncé à reprendre, par la diplomatie  en faisant valoir les coutumes féodales en vertu desquelles « une terre confisquée par un suzerain à son vassal peut lui être rendue si celui-ci se repend », ou par les armes, ses terres continentales confisquées, ce que Philippe Auguste n’envisagent pas.
1213 – Le 8 avril, Philippe Auguste réunit une assemblée à Soissons, où Ferrand de Portugal réclame, une nouvelle fois, la restitution de deux villes Saint Omer et Aire-sur-la-Lys que s’est approprié le prince Louis, comte d’Artois. Devant le refus qui lui est opposé, il part avec fracas et se tourne vers Jean Sans Terre et l’empereur Otton de Brunswick, dont il est le vassal du fait de son titre de comte du Hainaut.

Dans le conflit qui oppose le pape Innocent III à l’empereur Otton de Brunswick  et Jean Sans Terre, tous deux excommuniés, Philippe Auguste apparait comme l’allié naturel du pape.

Le 15 mai, renversement d’alliance, Jean Sans Terre se réconcilie avec le pape. Philippe Auguste doit, alors, faire face à une vaste coalition, comprenant outre Jean Sans Terre, l’empereur Otton IV de Brunswick,  Renaud de Dammartin, Ferrand de Flandre, Thiébaud Ier de Lorraine, Henri Ier de Brabant, Guillaume Ier de Hollande et Philippe II de Courtenay-Namur.
Le 30 mai, les hostilités commencent, la flotte de Philippe Auguste concentrée à Damme (avant port de Bruges) est en grande partie détruite hypothéquant ainsi une possible invasion de l’Angleterre.
1214 – L’empereur envahit le royaume de France par le nord, Jean Sans Terre remonte de l’Aquitaine vers la Loire, Philippe Auguste doit diviser ses forces.
Le 2 juillet, l’armée du prince héritier Louis met en fuite celle de Jean Sans Terre à La-Roche-aux-Moines (près d’Angers).
Le 27 juillet, Philippe Auguste à la tête de l’armée royale, dont les normands ne représentent qu’environ 5% des effectifs, rencontre les coalisés à Bouvines (près de Lille), l’empereur est mis en fuite, l’aigle impérial capturé, Ferrand de Portugal et Renaud de Dammartin faits prisonniers, Jean Sans Terre n’est pas présent.
La remise en cause de la conquête de la Normandie de 1204 est désormais très difficile.
En septembre, signature, à Chinon, d’une trêve de cinq ans avec Jean Sans Terre, Philippe Auguste prend conscience qu’il ne pourra venir à bout de Jean qu’en envahissant l’Angleterre.

 
 

1215 – Jean Sans Terre est aux prises avec une révolte des barons, conséquence de ses défaites sur le continent, il doit leur concéder « la Grande Charte ».
1216 – En mai, Le prince héritier Louis débarque en Angleterre pour s’emparer de la couronne d’Angleterre offerte par les barons Anglais en révolte contre Jean Sans Terre.
Le 19 octobre, Jean Sans Terre décède, Henri III, âgé de 9 ans lui succède et les Anglais se rassemblent autour de lui, Louis renonce à la couronne d’Angleterre.
1217 – Le 20 mai, l’armée de Louis est mise en déroute à Lincoln (Angleterre).
Le 24 août, la flotte transportant de nouvelles troupes est détruite entre Calais et Sandwich.
Le 11 septembre, sous les hospices du légat pontifical, une trêve est conclue à Chinon (Indre et Loire).
1220 – Philippe Auguste obtient le renouvellement de cette trêve pour cinq nouvelles années.
1223 –  Le 14 juillet, Philippe Auguste meurt à Mantes sans avoir réalisé son projet d’envahir l’Angleterre, les aristocrates normands n’y récupéreront pas leurs biens.
Le 6 août -  Son fils Louis lui succède à l’âge de 36 ans et devient Louis VIII le Lion. Vaincu en Angleterre, Louis aurait promis de restituer les possessions continentales de Jean Sans Terre à Henri III, âgé de 16 ans, qui n’abandonne  aucune de ses revendications.
1224 – La reprise de la guerre est inéluctable.
1226 – Le 8 novembre, Louis VIII le Lion, décède à Montpensier (Puy de Dôme). La minorité de son successeur  Louis IX (futur Saint Louis) entraîne une recrudescence du conflit qui n’épargne pas la Normandie.

Bataille de Bouvines  

Les conséquences du rattachement de la Normandie

Philippe Auguste, qui a conquis la Normandie en s’appuyant sur le droit féodal, est bien décidé à la conserver dans le domaine royal. Pour cela, il lui faut s’assurer la fidélité de la classe dirigeante qui possède des biens de chaque côté de la Manche.

La noblesse
En 1204, la noblesse normande comprend environ deux mille chevaliers dont une soixantaine de barons qui, pour une dizaine, ont le titre de « comte ». La féodalité normande est très peu hiérarchisée, rare sont les vassaux du duc qui ont eux-mêmes des vassaux, le duc domine la féodalité directement.
Le rattachement de la Normandie au royaume de France sollicite, essentiellement, le haut baronnage, échelon supérieur de l’aristocratie. Il doit choisir entre deux engagements vassaliques : celui dû au duc de Normandie, roi d’Angleterre ou celui dû au suzerain du duc, le roi de France.
Philippe Auguste l’invite à choisir entre lui et le roi d’Angleterre, ceux qui veulent garder leurs terres normandes doivent renoncer à leurs possessions insulaires et lui prêter l’hommage en renonçant à tout lien féodal avec Jean Sans Terre, dans un délai maximum d’un an expirant en avril 1205, délai prorogé jusqu’à Noël 1205. Parmi les quelques rares exemptions figurent, notamment, Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, Robert de Fontenay, Eléonore de Vitré et Alix, comtesse d’Eu.
Jean Sans Terre, de son côté, exige la présence de ses vassaux à ses côtés sous peine de confiscation de leurs biens.
Le choix du fief, pour les seigneurs anglo-normands est dicté par sa seule importance en dehors de tout lien avec l’une ou l’autre des parties. La majorité des grands barons préfère l’Angleterre, de même que 5 à 10% du reste de la noblesse. Philippe Auguste édicte alors une nouvelle règle confisquant les terres normandes à la mort d’un seigneur si son plus proche héritier réside en Angleterre. Cette règle, appliquée jusqu’au règne de Saint Louis, crée des situations juridiques inextricables lors d’un héritage contesté. Les terres des Normands ayant choisis l’Angleterre sont rattachées aux biens de la couronne.

 
  Gravure : Guillaume le Maréchal était l’un des plus grands tournoyeurs de son temps .
 

Le clergé

Le clergé constitue une force politique et morale importante dont le soutien est capital pour pérenniser le rattachement de la Normandie. Philippe Auguste l’a compris, il commence donc dès 1200 une opération de séduction auprès du clergé normand.
Depuis Guillaume le Conquérant, le pouvoir ducal donne son accord à l’investiture des abbés et des évêques.
Jean sans Terre en a usé et abusé, notamment en faisant durer les vacances épiscopales, pour profiter du droit de « régale » dévolu au duc. Philippe Auguste renonce volontairement à abuser de son autorité sur l’Eglise, pour s’assurer de sa fidélité, politique qu’il suit dans le royaume de France.
Les évêques normands doivent, néanmoins, choisir leur camp, choix rendu difficile par la coutume normande « foi et hommage » qu’ils doivent au duc de Normandie. Ils sollicitent l’avis du pape Innocent III, partisan du roi d’Angleterre mais qui reconnait la supériorité des armes à Philippe Auguste. S’abritant derrière sa méconnaissance de la situation, il refuse de se prononcer. Les évêques interprètent cette réponse comme un signe à se rallier au roi de France. Symbole de leur ralliement, trois d’entre eux participent à la croisade contre les Albigeois et cinq sur sept assistent aux obsèques de Philippe Auguste.
Avec ces concessions, Philippe Auguste exerce les droits traditionnels des ducs de Normandie, évite la perception de nouvelles dîmes, enlève à l’Eglise son droit de regard sur les testaments, empêche l’excommunication des fonctionnaires, et met en place le bannissement des clercs reconnus coupables de crime. Enfin contrairement à la noblesse, les clercs normands ne sont pas obligés de choisir entre leurs possessions continentales et insulaires.

Les villes
Les villes normandes se soumettent rapidement au vainqueur, d’autant plus que Philippe Auguste promulgue plusieurs actes en leur faveur et ne confirme pas de nombreuses chartes communales contraignantes imposées par les ducs de Normandie. Certaines villes vont développer rapidement leur activité comme Rouen, Eu, Pont-Audemer ou encore Dieppe. Elles sont régies par un établissement qui permet au roi de France de choisir le maire sur une liste de trois noms proposés par les bourgeois de la commune.
La haute bourgeoisie accepte, sans problème, le nouveau pouvoir puisque les mêmes familles, voir les mêmes hommes, restent à la tête des communes.

Innocent III  

L’administration
Le duché de Normandie continue d’exister dans les textes et les faits, le roi continue à y faire référence, mais ne porte jamais le titre de duc de Normandie. Il n’y a plus de cérémonie d’intronisation propre à la Normandie, lors de son sacre, il devient de facto duc de Normandie. Par ailleurs, la charge de Sénéchal de Normandie, gouverneur du pays lors de la présence du duc à l’étranger, est supprimée.
Philippe Auguste maintient la « coutume normande », notamment, parce qu’elle est plus avantageuse pour le souverain, en matière féodale et criminelle, que celle de la France. Il en modifie quelques points pour rendre les Normands égaux aux Français notamment en matière de duel en supprimant la position privilégiée de l’appelant.

Sur le plan judiciaire, la cour souveraine de l’Echiquier est maintenue, elle symbolise l’indépendance de la Normandie, tout en subissant d’importantes refontes. Sa présidence est désormais assurée par des commissaires royaux. Ces conseillers, venus de Paris, connaissent mal la coutume normande, ils en réfèrent systématiquement au roi dès qu’un cas compliqué se présente. Des baillis, hauts fonctionnaires nommés, payés par le roi et étrangers au duché le représentent dans les domaines de l’administration, la justice et la convocation de l’armée. Ils sont les supérieurs des autres agents royaux en Normandie, les vicomtes, les prévôts et les sergents en majorité Normands.

 
   
 

L’architecture : apogée du gothique
Après avoir imité, puis assimilé les modèles français, les Normands élaborent vers la fin du XIIe siècle, un modèle propre d’art gothique qui prend le relais de l’art roman normand. Ils ont pris goût à l’art gothique, à son caractère élancé, à l’évidement des murs, à l’irruption de la clarté, même tamisée par les vitraux, aux jeux d’ombres et de lumière.
D’importants travaux sont lancés et financés par le roi et les Grands. Philippe Auguste concoure à l’édification de la « Merveille » du Mont Saint Michel. En Basse Normandie des grandes églises dites à trois étages, des flèches pointues, de vraies pyramides de pierre vont s’élever vers le ciel.
Saint-Pierre-sur-Dives, Bayeux, Saint Etienne de Caen reconstruite, Coutances, Lisieux, l’Hospice de Falaise, la grande châsse de Saint Taurin font partie de ces chefs d’œuvre du gothique normand commencés au XIIe siècle, terminés au XIIIe.
Le gothique rayonnant, qui lui succède, est né en Ile de France vers 1230. A cette époque, la Normandie s’est forgée son style particulier auquel elle est attachée. Ne pouvant rester à l’écart des évolutions, le nouveau style pénètre par les régions les plus proches des frontières orientales et Paris. Les cathédrales d’Evreux et de Sées, les portails nord et sud de la cathédrale de Rouen, Saint Pierre de Caen sont, notamment, représentatifs de cette évolution.
De nombreuses églises rurales sont édifiées au XIIIe siècle, dans le style gothique triomphant, pour faire face à l’accroissement de la population. Il s’agit rarement de constructions intégrales, mais plus souvent de remaniement d’un édifice existant.

Après 1204, les Normands perdent peu à peu l’espoir de voir le roi d’Angleterre reconquérir leur territoire. Ils n’ont d’autres choix que de s’intégrer au sein du royaume de France et du domaine royal. Saint Louis, joue un rôle important dans ce processus, populaire en Normandie, il règle par un traité de paix avec l’Angleterre le contentieux dont la province est l’enjeu.

Cathédrale de Coutances  

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