Association de Sauvegarde du

CHATEAU DE GAVRAY

LA FORTERESSE NAVARRAISE

La guerre de Cent ans qui se déchaine alors, est la période où le château de Gavray joue son rôle le plus important. La région est au cœur du conflit et la forteresse voit se succéder des occupants navarrais, français puis anglais. Le château est assiégé et pris par deux fois par les troupes françaises au cours de ce conflit.
C’est pour l’historien une période faste grâce aux Comptes du roi de Navarre qui détaillent avec beaucoup de précisions les dépenses d’approvisionnement, les gages alloués aux soldats, l’état des réserves alimentaires, etc…

La succession de Louis X le Hutin

Jeanne, fille de Louis X le Hutin et de Marguerite de Bourgogne, est écartée de la couronne de France en 1316, à la mort de son frère, Jean le Posthume, qui ne vécut que cinq jours. Les Etats Généraux convoqués en 1317, la déchoie de ses droits en vertu du principe de masculinité créé pour la circonstance.
 Son oncle, Philippe le Long, devient roi et lui octroie une rente de 15 000 livres et elle devra à sa douzième année (en 1324) ratifier un traité qui la déshérite de la Navarre et des comtés de Champagne et de Brie qu’elle tenait de sa grand-mère, Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel.

 
  Jeanne II de Navarre (Livre d'heures de Jeanne de Navarre).
 

A sa majorité, Jeanne ne confirme pas son renoncement, elle a épousé Philippe d’Evreux, fils du second frère de Philippe le Bel. A l’avènement de Philippe VI en 1328, elle revendique son héritage. Elle obtient la Navarre mais perd définitivement les comtés de Champagne et de Brie contre en compensation le comté d’Angoulême et des possessions en Normandie dont le comté de Mortain.

Que devient Gavray qui ne fait pas partie du comté de Mortain ?

Selon Charles De Gerville (1) : « En 1328, Gavray fut cédé à Jeanne, reine de Navarre » à titre d’indemnité. Cette affirmation est reprise par Gustave Renault (2) puis Bernard Beck (3) qui précisent que cela se fit au terme d’un échange avec le roi de France.
Par ailleurs, il y a eu des relations entre le château de Mortain et celui de Gavray, c’est du moins ce qu’il ressort de l’hommage lige de Philippe rendu à son père Philippe Auguste en 1220, où Gavray et Mortain sont mentionnés ensemble comme restant dans la main du roi.
Enfin, une indication est fournie pour 1351 par les « Gallia Regia » (4) un certain Jean Roussel a été ordonné ……à la garde du chastel de Mortain et de Gavray. La présence d’un même capitaine a la tête de ces deux forteresses prouve qu’elles sont sous la même autorité.

 

Charles II de Navarre

 

dit le Mauvais
roi de Navarre
comte d’Evreux

A la mort de Jeanne de Navarre, en 1349, son fils Charles lui succède. Roi de Navarre (par sa mère), comte d’Evreux (par son père) et détenteur de quelques seigneuries en Normandie, il peut aussi, très légitimement, prétendre au trône de France. Homme sans scrupules, pour lequel la fin justifie les moyens, il reprend à sa charge les revendications de sa mère (possession du comté d’Angoulême promis mais jamais donné) renforçant ainsi ses nombreux griefs contre son beau-père Jean le Bon (notamment le non-versement de la dot de sa femme).

Une monnaie de Jean II le Bon, «blanc au châtel fleurdelisé» (1356). Deux de ces monnaies ont été trouvées sur le site du château. Jean le Bon, roi de France de 1350 à 1364, avait marié sa fille à Charles II le Mauvais, roi de Navarre. Ce mariage n'empêcha pas les hostilités entre la France et la Navarre, hostilités au coeur desquelles se trouva le château de Gavray.
avers revers

Enfin, ses griefs sont exacerbés quand le roi de France attribue à son favori Charles d’Espagne, connétable de France, le comté d’Angoulême qui devait lui revenir. Le 8 janvier 1354, le connétable est assassiné à l’Aigle par les Navarrais.

Jean le Bon ordonne de mettre « sous-main » toutes les terres et châteaux appartenant à son gendre.

 

Prenant les devants, Charles négocie avec Edouard III d’Angleterre. Parallèlement son frère, Philippe, comte de Longueville, a levé avec Godefroy d’Harcourt, sire de Saint-Sauveur, des troupes dans le Cotentin. Ils avaient assemblé « grant nombre de gens d’armes et Monseigneur Godefroy fit enfoncer les pas du Clos du Cotentin ». (5)
Devant cette menace Anglo-navarraise, le roi de France préfère négocier, c’est le « traité de Mantes » du 22 février 1354. Par ce traité, Charles obtient le comté de Beaumont le Roger et la plus grande partie du Cotentin devenant maître de la moitié de la Normandie.

Double jeu des rois de France, d’Angleterre et de Navarre

Vingt-cinq ans d’intrigues, de complots et de réconciliations apparentes, l’histoire de Charles II est un peu celle des occasions manquées. Au-delà du simple souci d’agrandir ses possessions dans le royaume, son dessein fût-il de faire triompher la cause anglaise, ou bien de supplanter lui-même les Valois, en raison des droits dynastiques qu’il tenait de sa mère ? Plus vraisemblablement, il songea à louvoyer entre les deux adversaires afin de mieux consolider sa position. Derrière lui se forma tout un parti, comptant des nobles, qui étaient ou non ses vassaux, des clercs et des bourgeois, qui étaient ou non ses sujets, l’ensemble indisposé par les abus de l’administration monarchique voyait sans doute dans Charles un utile contrepoids à l’omnipotence des organes du gouvernement Valois. (6)

Après le traité de Mantes, Charles se rend en Avignon où devaient être ratifiées des concessions françaises d’une grande ampleur à l’égard des Anglais. Non content de revenir sur ces concessions, Jean le Bon profite du voyage de Charles pour tenter de reconquérir les terres du roi de Navarre en Normandie. Seules six places-fortes ne se rendent pas : Evreux, Pont-Audemer, Cherbourg, Avranches, Mortain et Gavray.

« En l’an dessus dit, se parti le Roy de Paris et ala en Normandie et fu jusques à Caan, et fist prendre et mettre toutes les terres dudit roy de Navarre en sa main, et instituer officers de par li et mettre gardes es chasteaux du dit roy de Navarre, excepté en VI, c’est assavoir (cf...supra) les quels ne li furent pas rendus ; car il avoit dedenz Navarrois qui repondirent à ceuls que li Roys y envoia que ils ne les rendroient fors au roy de Navarre, leur seigneur, le quel les leur avoir bailliez en garde ». (7)

 
Jean II le Bon

Pendant ce temps, Charles rencontre à Avignon Henri de Lancastre, petit-fils d’Henri III d’Angleterre pour organiser un partage de la France. Il regagne Cherbourg en 1355 et attend le débarquement anglais prévu. Comme celui-ci se fait attendre, Charles négocie...avec les Français. C’est le traité de Valognes le 10 septembre 1355.

Blason d’Henri de Lancastre

Par ce traité, Charles accepte de faire obéissance au roi de France, son suzerain, pour les châteaux qui n’avaient pas voulu se rendre. Le roi pourra en nommer les capitaines de son choix, jusqu’à ce que Charles ait fait hommage :

« jusques à tant que Nous en notre personne aions fait à Mons. Le Roy l’obéissance ci-dessous escripte ». (8)

Cette clause rend ce traité de pure forme puisque l’hommage sera fait quelques jours plus tard et que Charles conservera ses biens. Le traité de Valognes ne règle pas pour longtemps les affaires entre Français et Navarrais.

Charles est arrêté à Rouen, en 1356, par Jean le Bon. Cette arrestation provoque un soulèvement mené par Philippe d’Evreux, frère du roi, et Godefroy d’Harcourt. (9) Les Navarrais prennent, entre autres, la forteresse d’Hambye et une chronique fait état d’un affrontement entre Français et Navarrais entre Gavray et Hambye. (10) Ces affrontements devaient être fréquents.

 
Arrestation de Charles II
 

En 1360, par le traité de Brétigny-Calais, Edouard III s’engage à abandonner les forteresses occupées par ses troupes dans la partie du royaume restant aux Valois. Une exception toutefois, le puissant château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, ancienne possession de Godefroy d’Harcourt, qu’il confie à Jean Chandos. Edouard, n’évacue pas ses places, se bornant à désavouer les troupes qui les occupent. Il faut donc procéder à leur « vuidement ».

Charles profite de cette période pour asseoir sa puissance en Normandie. En 1360, il est à Mortain le 28 juin, à Gavray le 28 juillet d’où il adresse des recommandations pressantes aux gouverneurs de ses châteaux et forteresses pour leur mise en état de défense, à Valognes le 13 août, du 27 août au 25 septembre à Cherbourg, puis à nouveau à Gavray le 6 octobre. (11)

L’année suivante, on le retrouve :

 -du 9 mai au 5 juin à Avranches,

-le 10 juin à Gavray,

-les 18 et 19 juin à Cherbourg,

-les 24 et 25 juin à Valognes,

-le 14 septembre à Cherbourg

-et, du 1er au 18 octobre à nouveau à Gavray. (12)

Des négociations avec les Anglais justifient probablement ces déplacements puisque contre paiement ceux-ci lui abandonnent leurs forts de la côte : Graffart et Barfleur.

Les Grandes Compagnies

La guerre provisoirement interrompue, le pays est infesté de bandes de mercenaires désœuvrés qui forment des Compagnies. (13) Ces Compagnies étaient constituées de gens de guerre déracinés, ne voulant pas ou ne pouvant pas réintégrer leur foyer et/ou la Société et conséquence d’une organisation militaire qui prévoyait seulement, entre deux trêves de droit ou de fait, quelques mois de solde au terme desquels les combattants étaient renvoyés à l’exception de ceux destinés à garder les frontières. Ce phénomène est aggravé par des troubles sociaux et des crises économiques.

 
 

La région de Gavray souffre, comme tant d’autres, de ce fléau souvent évoqué dans les comptes du roi de Navarre et le château a joué son rôle dans la lutte contre ces Compagnies. On y trouve :

« Pour despens de Monseigneur d’Avranches, lieutenant de Monseigneur le Captal, ses gens et chevaux, tant qu’il fut demourant au chastel de Gavray pour fait du siège de la Rochelle... »Item « pour faire pain pour leditsiège…. Demi-pot de sain porté audit siège pour les engins… ». (14)

Il s’agit de « la Rochelle » en Avranchin appelée aujourd’hui « la Rochelle Normande », occupée par les Anglais.
Ce siège est à nouveau, évoqué le 19 septembre 1373, dans une lettre de Robert Porte, évêque d’Avranches (15) : 

« Robert, par la grâce de Dieu evesque d’Avranches a tous ceuls qui… Nous nous recordons assez que pour le temps que nous et autres des gens du Roy de Navarre mon très redouté seigneur estions au siège qui par les gens de mon dit seigneur fut fait pièça devant la Rochelle en Avranchin nous mandâmes à Gavrai, pour la nécessité dudit siège deux engins avec le cordage, quatre poulies de fer, un pot de sain et un tresclou… »

Ainsi, Gavray n’avait pas seulement prêté ses murs, mais avait aussi participé au siège en fournissant deux catapultes avec leurs accessoires.

 

Pour lutter contre les Compagnies souvent Français et Navarrais s’unissent. Ainsi, du 19 au 23 avril 1363, Philippe de Navarre, frère de Charles II, comte de Longueville, séjourne à Gavray, dans le cadre d’une opération conjointe avec le duc de Normandie, le futur Charles V. (16)

Armoiries de Philippe de Navarre, comte de Longueville

Une extraordinaire confusion régnait en Basse Normandie où des troupes circulaient en tous sens. Coutances, était le plus souvent navarraise, mais parfois occupée par les gens du roi de France. Saint-Lô était française, Torigny navarraise. Le centre de résistance du roi Charles le Mauvais était Gavray dont « les formidables fortifications, boulevard de la puissance du Prince dans le Bocage, éloignaient tous les projets d’attaque » selon Onfroy de Tracy.
Les Anglos-Navarrais s’étaient emparés de Saint-Denis-le-Gast et d’Hambye, ils défendaient, notamment, Mortain et Valognes :

-Guillaume de la Haye était capitaine du château de Valognes,

-Olivier de Mauny, capitaine de la forteresse de Carentan,

-Guillaume de Manneville, capitaine du château de Chanteloup,

-Baudet de Saint Paul, capitaine de la Bastide des Ponts d’Ouve remplacé en 1363 par Guillaume aux Epaules, qui devint ensuite capitaine du bourg et du château de Gavray.

La guérilla persiste et l’insécurité règne partout. En 1364, Louis, autre frère de Charles II, séjourne à Gavray avec ses hommes et Pierre Clémence, le trésorier note que 8 quartiers de froment « furent perdus au moulin de Quetreville par les Anglais qui le prindrent ». (17)

En 1366, il faut « vuider » d’autres forts, et l’évêque d’Avranches est à nouveau à Gavray : 

« despens des chevaulx de Monseigneur d’Avranches, tant comme il fu à Gavray pour le parlement dentre les gens du roy notre sire sur le vuidement de Carentan, Tinchebray, Saint-Sever et autres forteresses… ». (18)

La guerre d’Espagne, où sont envoyées les Compagnies sous les ordres de Bertrand Du Guesclin, ne résout pas la question puisqu’en 1367-1368, de nouvelles bandes sévissent dans la région. Des Bretons s’installent à Champeaux et à Genêts, et rançonnent le pays.
Comme pour lutter contre les Compagnies quelques années plus tôt, Monseigneur d’Avranches s’installent à Gavray. Guillaume Le Marié, garde des garnisons du chastel de Gavray, doit livrer des denrées :

« pour le gouvernement de lostel de (son) dit seigneur d’Avranches et ses gens, li estant à Gavray, depuiz le mardi après la feste St Vincent, que les Bretons vindrent à Champeaulz pour faire guerre au païs de Monseigneur, jusques au XXVIIème jour de mars derrain passé ». (19)

Cette lutte coûte fort cher, comme en témoigne les comptes : il faut payer des soldats supplémentaires, entretenir des troupes, etc…à tel point que, comme le remarque G. Dupont : 
« quinze ans après, on finissait seulement de liquider les incidences financières de l’opération… ». (20)
Si le château est mis en état de défense, la ville de Gavray aussi. C’est, à priori, la seule période (1366 à 1369) où l’on signale la présence d’un chef militaire dans chacun des lieux :

 « Etienne Viguereux, cappitaine du chastel de Gavray » et « Jehan de Savoye, connestable establi à la garde de la ville de Gavray ». (21)

Au cours de l’été 1368 : 

« XII hommes darmes (sont) envoiez par Monseigneur le captal à Gavray (22)pour la déffense de la dicte ville et de tout le païs denviron, qui y furent par lespace de XXVIII jours es moiz daoust et de septembre, ouquel temps les gens dune route de la grant compaignie prindrent la ville de château de Vire ». (23)

En septembre, le Captal

« lessa en la ville de Gavray VIII vallés et IX chevaux ». (24)

En octobre, il recrute de nouveaux hommes d’armes :

A. Janicoiz, Verny de Cadillac, le Wolpat, Eliot, Lespessat, Jehanno et Jehan Duchemin, hommes d’armes lesquielz Monseigneur le Captal ordena estre et demourer à Gavray par manière de creue à X fr. le mois chacun(…) leur fu poié pour leurs dis gaiges desservis oudit chastel et ville de Gavray, pour les mois doctembre, novembre, decembre, janvier, février et mars CCCLXVIII, avril, may , juing, juillet CCCLIX, et du mois daoust ensuivant jusques au Xe jour, qui fait le tiers dicelui mois, einsi font X mois et le tiers d’un mois, LXX fr. pour mois (...) ». (25)

L’entraide franco-navarraise pour faire face aux Compagnies n’améliore pas pour autant les relations entre les deux souverains.

 

Charles V a décidé de reconquérir son territoire. Les renonciations anglaises prévues à Calais n’avaient toujours pas été échangées et le roi de France tenait le motif de déclarer les hostilités. La place de St-Sauveur serait concernée par cette reconquête.
Le roi de Navarre préfère alors revenir en Normandie. Quittant sa retraite de Navarre, il regagna le Cotentin, chercha à négocier avec Charles V, puis avec Edouard III, qui repoussa ses avances.

Charles V 

En 1369, il séjourne à Cherbourg « avec son commun »d’août à décembre

« excepté les II derrains jours que le commun sen ala à Gavray et Monseigneur demoura à Cherbourg ». (26)

En 1370, il reste à Cherbourg,  

« les gens et chevaliers de Monseigneur estans à Gavray depuis premier de janvier CCCLIX jusques au VIIe jour de may CCCLXX ».(27)

Des actes attestent la présence du roi à Gavray le 1er octobre 1370 au retour d’un voyage en Angleterre pour préparer un traité avec Edouard III, traité refusé par le Prince de Galles (le Prince noir).


Se retournant alors vers le roi de France, il conclut la paix en mars 1371. Les capitaines de certaines places normandes qu’il s’était engagé à céder refusent de les abandonner. (28)

Un acte signé le 24 avril 1371 est la dernière trace d’un passage du roi à Gavray. (29)

Le château pendant l’occupation Navarraise

Rien dans les textes ne permet d’imaginer comment était le château pendant cette occupation et rien dans les comptes que nous possédons nous permet d’affirmer qu’aucune modification importante n’est intervenue entre 1363 et 1371.
Nous savons qu’il possède notamment :

-un donjon 1123,

-une barbacane 1199,

-un pont-levis restauré en 1199,

-une chapelle,

-une grande-salle 1199,

-deux portes 1199 dont une tour-porte,

-des créneaux : 8 construits en 1199…….

-une citerne 1321-1324

-diverses maisons,

-des greniers,

-des logements pour les soldats,

-une cuisine.

Vu le nombre de personnes hébergées parfois au château et l’importance de la garnison, on peut imaginer un grand nombre de bâtiments à l’intérieur de l’enceinte. Aucun détail ne permet de mieux les appréhender.

La défense du château 

Le nombre de personnes préposées à la défense du château n’est pas connu pour toutes les périodes, néanmoins outre le capitaine et le garde des garnisons, on trouve les chiffres suivants :

-en 1369 début août : sous le commandement de Jehannico Ruiz d’Ayvar 3 hommes d’armes et 18 servants,

-fin août : 2 hommes d’armes et 20 servants et un connétable pour la ville de Gavray.

-en 1370 : 3 hommes d’armes et 20 servants (30).

Ces chiffres peuvent varier en période de crise, mais ils sont conformes à ceux des autres places-fortes de la région, de même importance, seule Cherbourg avait 45 servants mais seulement 3 hommes d’armes.
On renforce la garde du château en y adjoignant le service :

« d’un eschauguete, laquel Monseigneur ordena estre pour cause des guerres en son chastel de Gavray, pour veoir et regarder environ le païz, par quoy gens darmes ou autres ne peussent venir bonnement sans estre apperceuz ». (31)

 

Pour être utile, ce service doit prévenir au plus vite hommes d’armes et population, c’est pourquoi le château est équipé d’une cloche :

« pour sonner et tinter toutefois que ledit eschauguete verroit venir gens darmes ou autres gens à cheval, par quoy les laboureurs ou autres qui lorroient se peussent retraire seurement senz estre seurprins ».(32)

Exemple de construction d’eschauguette

L’intendance

 Pour prévenir tout siège, chaque château a une « garnison » dûment approvisionnée et dont la comptabilité est suivie de près.
Voici de quoi se compose la garnison du château lorsque Guillaume Le Marié, garde des garnisons du chastel de Gavray, prend la succession de Jean Latour :

« CXIIII quartiers et demi de froment, XV quartiers de fèves, XII quartiers et demi de poix, XVI quartiers dorge, XXVIII quartiers et demi d’avoine, CXXI fliche de lard, demie pippe de verjus de grain, LIX1 de sain, item XLII 1.de sain, XVIII pos de viel burre de VII ans fondus et mis en un poicon pour mielx garder, une chaenne de fer, une barre de fer pesant environdemi cent, une cuve baignouoire, chanvre IIIIXXVI 1., II eschelles de corde, une corde de puis, un chaable de corde pour la tour, un chaable de grant engin, une corde bastarde de XVI toises, II cordes à vans à couvrir, III fondes à engins, IIII chevestres à engins, une toise de corde menue, II petits chevestres, un peu de cuir de cheval, III esseulx de fer à engins, IX poullies de fer à engins, V chevilles de fer à poullies, XII lanternes, un traitclou, un peu de clou à couronne pour engins, VIIIXX 1. de suif pour chandelle, poix resine XXV 1., poix noire XV 1., une pippe de sel contenant III quartiers II boisseaulx et XI quartiers II boisseaulx davoine ».

A quoi s’ajouterons chaque année des denrées provenant

« du vicomte de Coutances », de plusieurs villes de la vicomté de Coutances, des raencons de 1an CCCLXIIII etc … ». (33)

La boisson, quant à elle, se trouve dans les approvisionnements réguliers. A la fin du même compte, on trouve :

« un tonnel de vin de Gascoigne, III tonneaux de vins d’Espaigne, un tonnel de vin du Poitou, une bote de guernaiche, XIX pippes de vin de païz, II pippes de vin d’Anjou, XXXV tonneaux de sidra… ».

Le vin ne manquait pas, il était acheminé par le port de Regnéville. Quant au cidre, on pense qu’il fut introduit par les Navarrais.

Enfin, pour ce qui concerne la domesticité, nombreuse lors des visites des « grands », sous les ordres du maistre dostel de Monseigneur, les offices de : paneterie, deschanconnerie,  cuisine, sausserie, etc…. ». (34)

Ces comptes auxquels nous nous sommes référés s’arrête en 1371 et nous n’en savons pas plus sur le château jusqu’à 1378, date de sa reconquête par le roi de France, si ce n’est le nom de son capitaine en 1377 : Loppe Gil.

La reconquête française

La reconquête menée par Charles V, avec l’aide Du Guesclin se poursuit. 

« Le connestable(…) étant occupé en Poitou et en Bretagne, Charles V charge l’amiral Jean de Vienne (…) » qui « s’en prit à la principale base d’opérations anglaise, Saint-Sauveur-le-Vicomte ».

D’importants subsides votés par les Etats de Normandie permirent d’y rassembler une armée nombreuse et une forte artillerie fabriquée à Saint-Lô et à Caen, en partie avec le fer des mines normandes. La place se rendit contre indemnité le 3 juillet 1375 et les Anglais se rembarquèrent à Carteret. (35)

Il s’agit maintenant de s’attaquer et de venir à bout des forteresses navarraises.
P. Contamine résume ainsi les circonstances de la reconquête française :
« En mars 1378, l’arrestation d’un familier du roi de Navarre vint révéler son dessein d’empoisonner Charles V. Ses intrigues avec le roi d’Angleterre et le duc de Bretagne furent dévoilées. Aussitôt, une armée fut réunie sous le commandement du duc de Bourgogne qui s’empara sans guère de résistance des forteresses de Charles le Mauvais ». (36)

C’est là que se situe l’épisode de l’héroïque résistance de Gavray qui donna lieu à de nombreuses versions plus ou moins contestées dont celles de :
C. de Gerville : « les abbayes et anciens châteaux de la Manche » pages 322-323
G. Renault : « Annuaire... » page 80
L. Delisle : « fragments d’une chronique inédite relative aux événements militaires survenus en Normandie de 1353 à 1389, Annuaire de la Manche, Saint-Lô 1895
« Chronique du Mont-St-Michel », publiée par Siméon Luce, Paris 1879 tome I page 11
Jean d’Orronville dit Cabaret : « La chronique du bon duc Loys de Bourbon » Ed. 1876 dont nous publions l’extrait en appendice.

Le siège de Gavray

Ferrando d’Ayens, était considéré tantôt comme conseiller du roi de Navarre, tantôt comme gouverneur de ses terres en pays de Normandie. Héroïque soldat, il témoigna à Charles le Mauvais une fidélité et un dévouement à toute épreuve. A l’approche de Du Guesclin, il quitta Evreux pour s’enfermer au château de Gavray. Il savait que cette forteresse renfermait les trésors de son maître et tout ce qui lui tenait le plus à cœur. Enfin, et c’était à considérer, Gavray passait pour être « le plus beau chastel de Normandie » et « être imprenable d’assaut de gens d’armes, de toute artillerie et de tous engins ».

 

Le siège commence au début du mois de mai, mené par Bertrand Du Guesclin accompagné du duc de Bourgogne et du duc de Bourbon. Il semblerait que le fils de Charles de Navarre, Charles, ait fait partie de l’expédition, pour inciter les capitaines à ne pas résister, mais rien n’atteste sa présence. (37)

« Le lieu élevé où était construit la forteresse, environné de deux rivières, isolé de tous côtés exceptés vers le couchant où il était relié à la haute colline de la Lande par un isthme étroit, défendu à son extrémité par deux tours, une tranchée, et dominé en arrière par la grosse tour d’entrée, rendait les approches difficiles. Des batteries de bombardes placées sur le versant de la Lande et sur la hauteur des Bains au midi, auraient pu battre les murailles épaisses des tours et du donjon. Mais, l’artillerie, nouvellement inventée, jouait encore un rôle secondaire dans l’attaque des places, et les anciennes machines, les béliers, les tours roulantes, les catapultes étaient encore les armes les plus redoutables aux mains des assaillants. Ces machines ne pouvaient être utilisées contre un château réputé imprenable. Il fallait compter exclusivement sur l’ardeur des assaillants, leur patience, les surprises, et enfin le découragement d’une garnison dont tout espoir de secours avait été enlevé. ».

Du Guesclin fait construire des bastides (camps retranchés) de part et d’autre du château, pour finalement envoyer chercher à Caen une bricole (catapulte) à moins qu’il ne s’agisse d’un canon puisqu’il en était fabriqué précisément à Caen. (38)
Le transport nécessita trois jours et plusieurs chariots à 6 chevaux chacun et des charrettes à 4 chevaux. (39)

 

Le 7 mai, le duc de Bourgogne devant Gavray accorde à deux militaires la rémission. (40)
Le 12 mai, huit écuyers sont reçus à Gavray. (41) Ils viennent s’ajouter aux troupes déjà présentes : au moins une trentaine d’arbalétriers. (42)

 

C’est après que se situe l’épisode tant célébré par les historiens locaux : l’héroïque résistance de Gavray qui ne dut sa chute qu’à un malheureux accident survenu à son gouverneur, Ferrando d’Ayens. Celui-ci, en visitant une tour où était entreposée la poudre, aurait avec sa torche, provoqué une terrible explosion, hâtant la reddition de la garnison navarraise du château.

Le 31 mai, le château est tombé

Le 1er juin, Du Guesclin accorde à tous les Navarrais de la garnison du château des lettres de rémission, dont une copie se trouve à la fin du manuscrit 3141 de l’Arsenal. Ces lettres leur avaient été promises au moment de la capitulation. Les défenseurs du château avaient obtenu ce que nous appelons aujourd’hui les honneurs de la guerre, un traitement de faveur justifié à tous points de vue tant par leur courage que par l’importance des murailles qui les abritaient et les rendaient invulnérables.

Le roi nomme Jehan de Couvran, gouverneur du château, puis de Beauté-sur-Marne, mande à

« Fouquet Tribout, receveur en la vicomté ancienne de Coustances des aides nouvellement mises suz et ordonnés au pays de Normandie pour le paiement des gens d’armes qui à présent y sont » de payer 200 F. d’or à Nicolas Marie, vicomte de Coutances, à qui le roi les avait donnés « pour consideracion des paines te travaulx q’il a euz et soutenuz pour le fait du siège qio nagaires fu mis devant Gavray ». (43)

Ce même jour, nous est conservé un mandat de Bertrand Du Guesclin à Fouquet Tribout de payer 15 300 F. d’or à Symon Paien « de la finance en or comptant de la tour du château de Gavray, selon le traité fait avec lui lors de la reddition de Gavray ». (44) Le 1er juin, la somme est remise à Simon Paien au château de Gavray.

Dès le mois suivant, par un acte daté du 14 juillet 1378, Charles V ordonne la démolition des forteresses prises aux navarrais : Pont-Audemer, Orbec, Breteuil, Rugles, Mortain, Avranches et Gavray. C’est à ce moment, sans doute, que la tour ronde (dont on a retrouvé les fondations à côté de l’actuel donjon) est détruite, ainsi qu’une partie du mur d’enceinte et un certain nombre de bâtiments.

En 1390, des troupes commandées par Thomas Graffart, pour le compte du roi de France, rasent ce qui reste des fortifications et tout ce qui peut contribuer à la mise en défense du château.
Dans les commentaires de sa chronique inédite du XIVème siècle publiée en 1895, Léopold Delisle montre à quel point la noblesse normande était partagée entre le roi de France et le roi de Navarre :

« Gavray fut assiégé pendant le mois de mai. Le 31 de ce mois, Charles V, roi de France, fit payer 600 francs d’or à 6 chevaliers : Guillaume Paisnel, sire de Hambye, Alain de la Houssaie, Alain de Beaumont, Perceval d’Esneval, Raoul de Beauchamp et Hervé de Mauny, en récompense de leurs services es bastides qui ont esté devant le chastel de Gavray ».

Appendice

Extrait relatif à la prise du château de Gavray de la chronique contestée de « Du bon duc Loys de Bourbon » de Jean d’Orronville dit Cabaret publiée par la Société de l’Histoire de France par A.M. CHAZAUD le 4 avril 1876.

 

« …Et le mois de mars ensuivant partirent les ducs de Bourgogne, de Bourbon, le conestable, et leur compaignie pour chevaucher en Normandie, ou conté d’Evreux terre du roi de Navarre, devant Mortaigne* fort chastel et belle ville, et dedans treize jours après qu’ils l’orent assiégée, prindrent la ville d’assault et aussi le chastel, ou ils gaignèrent moult de biens. De là se partirent les seigneurs, et allèrent devant la cité d’Evreux**, ou estoit ung capitaine pour le roi de Navarre, appelé Ferrandon, qui ne se osa fier à demeurer à Evreux, quand il vit les seigneurs approucher à tout leur ost, pour assiéger la cité. Il laissa tout, et s’enfuit à Gavré*** hastivement, le chastel ou estoit le trésor du roi de Navarre son maistre. Et ceulx de la cité, qui virent leur capitaine s’en partir d’eulx, firent obéissance, et rendirent la cité aux seigneurs pour le roi de France. Et de la ville d’Evreux se partit le duc de Bourgogne, qui s’en alla, pour cause de l’armée qu’il devoit faire en Angleterre. Et le duc de Bourbon, le conestable et l’admiral allèrent o leurs gens devant Gavré***, le plus bel chastel de Normandie, et y mirent leur siège, et eulx estant devant, Ferrandon, qui estoit parti d’Evreux, se tenoit dedans cellui chastel ;advint qu’ung jour il faisoit revisiter la pouldre des canons et l’artillerie dedans une tour, si survint qu’en la revisitant, une chandelle allumée cheut sur la pouldre qui brusla à Ferrandon tout le visage, dont il morut, et deux autres avec lui Pourquoi ceux de léans furent tous esperdus, et durant cellui espouventement à ceulx du chastel le duc de Bourbon fit tant que ses gens prindent unes failses brayes par devers une porte au dessoubs du chastel, ou il logea cent hommes d’armes ; le conestable et le mareschal estoits lougiez de l’autre part de la moutaigne, qui les tenoient moult court, et tous les jours les gens du duc de Bourbon parlementoient avecques eulx, qu’ils se rendissent, lesquels pour riens ne le vouloir faire, se le trésor du roi de Navarre, qui estoit dedand, ne lui fust porté et rendu, ou il avoit trois moult riches couronnes d’or et de pierreries, qui avoient esté des rois de France et oultre soixante mille francs d’or, ainsi que le recongneurent ceulx de léans.Et tantost le duc de Bourbon et le conestable mandèrent au roi, à Paris, la sceue de ce trésor, dont, au bout de trois jours, par devers les eigneurs, vint le sire de la Rivière, hastivement, pour la convoitise dudit trésor porter. Laquel de la Rivière hastoit fort le traictié affin qu’il emportast l’argent, mais le duc de Bourbon, le conestable et le mareschal ne le vouldrent advancier ; tant qu’ils eussent la place pour le bien du roi. Et tant firent les seigneurs, que par assaillir et forte guerre, dedans trois jours après, se rendirent ceux du chastel au duc de Bourbon et au conestable, et baillèrent au sire de la Rivière le trésor qu’il désiroit fort. Puis rasèrent le chastel, comme ils orent fait à Mortaigne*, ainsi comme le roi ot commandé aux seigneurs, s’ils le prenoient de force. Et prins Gavré, allèrent le duc de Bourbon le conestable et le mareschal à Reineville****…».

* Mortagne au perche (Orne)
** Evreux (Eure)
***Gavray (Manche)
**** Regnéville (Manche)

 
Gravure du château vue prise du nord des rives de la Sienne.
in "Le château de Gavray et la châtellenie de Gavray" de Fernand VATIN - 1937 - Imprimerie Barbaroux

Notes et références :
(1) C. De Gerville « Les abbayes et les anciens châteaux de la Manche »
(2) G. Renault : « Annuaire……… »
(3) B. Beck : « Gavray, Hambye, Coutances » 1975
(4) G. Dupont-Ferrier : « Galliz regia ou état des officiers royaux des baillages et sénéchaussées de 1328 à 1515 » Paris 1942-1965 t.II
(5) « Chronique des quatre premiers Valois » éd. Siméon Luce PARIS 1862(Société de l’histoire de France)
(6) P. Contamine « La guerre de Cent Ans » Ed. PUFp.36
(7) « Chronique des règnes de Jean II et de Charles V » publiée par Delachenal t.1 Paris 1916
Cet évènement est repris également par deux chroniques latines citées par D.F. Secousse « Charles II, roi de Navarre » Paris 1755                                                                                                                                                                                               
(8) D.F. Secousse « Mémoires sur Charles II, roi de Navarre » Paris 1755 p.582
(9) Ce personnage, sieur de Saint-Sauveur, est en conflit permanent avec l’autorité française (Philippe VI et Jean le Bon). Il n’hésite pas à s’allier avec les Anglais pour assouvir sa vengeance, ils profiteront de son aide pour préparer leurs multiples incursions dans la région. Il leur léguera, à sa mort, son château.
(10) « Chronique normande du XIVème siècle » rédigée par un inconnu de 1369 à 1374, éditée par S. Luce, Recueil de la société d’histoire de France Paris 1882 p.117 et 118
(11) « Documents comptables des archives générales de Navarre concernant la Normandie (1328 à 1387) » recensés par M. Baudot, Répertoire périodique de documentation normande, cahiers Léopold Delisle, t. XIV fasc. 1, Caen 1965.1 p.88-89
(12) ibidem p.90-91
(13) P. Contamine « La guerre de Cent Ans » p.52-53
(14) « Comptes… » p. 69
(15) B.N. franc 26011 f 1415 (fichier Alfred Butot)
(16) L. Delisle : « Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur -le-Vicomte » suivie des pièces justificatives p.127
(17) « Comptes … » p.69
(18) ibidem p.70
(19) « Comptes… » p.226-227
(20) cité par A. Dupont « Histoire…… » t. IV p.29-30 (Ms de D.L.N. vol. 7 p. 173-174, chambre des Comptes de Paris)
(21) ibidem p. 168 et 210
(22) Il s’agit du gascon Jean de Grailly, Captal de Buch. Un des vainqueurs de Poitiers aux côtés du Prince Noir, il deviendra le principal lieutenant et l’homme de confiance de Charles II de Navarre
(23) « Comptes… » p.227
(24) ibidem p.228
(25) ibidem p.255-256
(26) « Comptes… » p.64-65
(27) ibidem p.66
(28) id. note 93 – C’est à la suite de cet accord que Charles de Navarre laissa ses deux fils au roi de France pour être élevés avec la dauphin.
(29) « Documents comptables…… » p.104
(30) ibidem p.254-255
(31) ibidem p.256
(32) « Comptes… » P.256
(33) « Comptes… » p.60-61
(34) ibidem p.72
(35) E.G. Léonard, « Histoire de la Normandie », Paris 1972 p. 73
(36) P. Contamine, « La guerre de Cent Ans » p. 65
(37) cf. note 119
(38) G. Dupont « Histoire du Cotentin et de ses Isles » Paris 1873t. II p.425
(39) B.N. f. 26014 pièce 2202 (fichier A. Butot)
(40) D.N. Secousse « Mémoires… » pièces justificatives p.453-454
(41) B.N. Clairambault vol. 202 p.74 (fichier A. Butot)
(42) ibidem vol. 95 p.30
« Sachant suit que nous Fouquet Riboulé, seigneur d’Assé, confesse avoir eu et reçu de Jehan Le Flament, clerc des arbalestiers du Roy N.S. la somme de trois cenz dix frans en prest sur les gages de nous et vingt et neuf escuiers de notre compaignie (….)
Et id. vol.99 p.28
 (43) L. Delisle « Mand. De Charles V » t. II p.425
(44) B.N. fr. 26014 p. 2207 « résumé du fichier A. Butot »

Précédent