Association de Sauvegarde du

CHATEAU DE GAVRAY

ENTRE FRANÇAIS ET ANGLAIS

La fin de l’occupation Navarraise 

Charles V a repris en main toutes les places du Cotentin, à l’exception de Cherbourg, que Charles II de Navarre venait de céder pour trois ans au roi d’Angleterre en échange d’une aide militaire en Navarre.
Pendant des mois, Du Guesclin essaie de reprendre la ville, mais en vain et le roi décide alors de procéder au « grand vuidement » du Cotentin. Tout le nord de la presqu’île devient, pendant près de 15 ans, un désert. C’est une période de grande misère et l’on peut imaginer la vie difficile à Gavray, au pied du château ruiné, avec toute cette population venue du nord et les bandes de pillards qui saccagent le peu qui a été préservé.

Charles III de Navarre, fils du Mauvais mort en 1387, entretien des bonnes relations avec le roi de France. En 1378, il participe à la reconquête française des places de son père et en 1381, Charles VI, dès son arrivée au pouvoir le nomme :

« en la place de gouverneur pour le roi des comtés d’Evreux, Beaumont-le-Roger, Mortain, Cotentin, Conches ? … (1)

Charles III de Navarre

En juin 1404, Charles III met un terme définitif à la querelle née de la succession de Louis X le Hutin et de la spoliation de sa grand-mère, Jeanne.

Il n’y a plus de possessions navarraises en Normandie.                                          
      
Gavray se retrouve pour peu de temps sous l’autorité directe du roi de France.

L’invasion anglaise

La guerre civile se déchaîne en France autour du roi Charles VI dont la santé mentale se dégrade.  Les Anglais font de fréquente incursions dans la région; ce ne sont que pillages et incendies.
En 1415, la situation est encore plus grave pour la France : la chevalerie française est écrasée à Azincourt, le 25 octobre.

 
Charles VI, roi de France.
Détail d'une enluminure du Maître de la Mazarine, extraite des Dialogues de Pierre Salmon, vers 1411-1413, Bibliothèque de Genève, ms. français 165 fo 4.

Deux ans plus tard, les Anglais commencent une véritable guerre de conquête en Normandie : Caen d’abord où le roi d’Angleterre établit son quartier général, puis Bayeux, Argentan, Alençon, Falaise, Vire. Dans le Cotentin, Saint-Lô tombe en mars 1418, puis Carentan, Saint-Sauveur-le-Vicomte, Hambye, Coutances... Seuls, Cherbourg dans un premier temps, et le Mont Saint-Michel définitivement, résistent. (2)

L’occupation anglaise du château de Gavray

Nous ne savons rien sur la conquête de Gavray, mais les Anglais s’y installent comme dans toute la région. La double démolition de 1378 et 1390 explique, sans doute, avec qu’elle facilité ils se sont emparés en 1418 d’un château jadis si fort. C’est une période de grande activité militaire puisque, occupé par les Anglais, il se trouve en position de frontière face aux Français. On y concentre de nombreux hommes d’armes et les comptes font état d’allées et venues incessantes dans la forteresse.

Trois monnaies découvertes lors des fouilles illustrent bien la lutte entre la France et l’Angleterre, au cœur de laquelle se trouve le château de Gavray. Emises en 1421 et 1423, deux sont anglaises et une française. Seules deux d’entre elles ont pu être reproduites.
« Demi-niquet » ou « demi-léopard » d’Henri V (1421). Henri V, le vainqueur d’Azincourt, dont Shakespeare fit un héros. Après avoir conquis la Normandie, il se fit désigner comme régent et héritier du royaume de France, au détriment de Charles VI, devenu fou, et de son fils Charles VII, qui mènera la reconquête de la France.
Denier tournois dit «petit-niquet» de Charles VI, «le roi fou» (1421 France).
avers revers
Denier tournois de Henri VI, successeur de Henri V (1423 Angleterre)
avers revers

La période troublée les incite rapidement à entreprendre la restauration de la forteresse, dont l’antique renommée était encore vivante parmi eux.
Sous la conduite de Thomas Scales, sénéchal de Normandie, qui y dépensa des sommes considérables dont le détail figure pour partie aux « Rôles de l’Echiquier de Normandie, la forteresse est rapidement en état de soutenir un siège.

Parallèlement, la forêt de Gavray semble avoir servi de refuge à des bandes armées dont on ne sait parfois s’il s’agit de brigands ou de résistants à l’occupation anglaise. (3)
Montaigu-les Bois abrite une bande vers 1425. A Gavray, on connaît les brigands et on les craint. (4) En 1426, le bois du Tronquait abrite une bande bien organisée, qui fait une expédition en deux jours et deux nuits jusqu’à Gavray, et en ramène un important butin. (5)

Certains insurgés obtiennent l’aide des troupes françaises ; c’est le cas en 1435, où le duc d’Alençon, avec l’aide de résistants, met le siège devant Avranches. Echec complet, il lève le siège en catastrophe :
« Le duc d’Alençon ne partit si vite que parce que les troupes anglaises, concentrées depuis quelques jours à Cérences et à Gavray, s’étaient mises en marche sur Avranches avec l’intention d’envelopper les Français ». (6)

 

Après la mort de Jeanne d’Arc en 1431, la domination anglaise fléchit de toutes parts. Les Anglais de Normandie sentant grandir l’hostilité dont ils étaient l’objet, avaient recours à des mesures qui les faisaient haïr davantage : « le sire de Cantepie, souleva cinquante mille mécontents qui se distinguaient par une croix blanche sur leurs vêtements ». Après avoir remporté quelques avantages, ils furent exterminés par le comte d’Arundel, redouté pour sa cruauté.

Gisant du comte d'Arundel au château d'Arundel.

Le roi de France, Charles VII réorganise ses forces et les finances du royaume avec l’aide d’Arthur de Richemont, connétable de France, de Jean d’Orléans, comte de Dunois et de Mortain et de Jacques Cœur. Militairement, les bandes de mercenaires et les levées ponctuelles de chevaliers sont remplacées par des troupes permanentes. La reconquête commence.

 
Portrait de Charles VII, par Jean Fouquet, vers 1445 ou 1450, musée du Louvre, inv. 9 106.

En 1436, l’occupant doit faire face à une insurrection populaire menée par un certain Boschier. Le bruit court que les Français vont intervenir dans la région de Mortain ou d’Avranches : toute la région est en alerte. Hue Spencer, écuyer et bailli du Cotentin de 1432 à 1446, s’installe à Gavray à la mi-mars pendant que Lord Scales, sénéchal de Normandie, se place à Vire. Ils prennent Boschier en étau à Saint-Sever et écrasent ses troupes. Cet écrasement a pour objectif d’éviter un soulèvement général des populations sur le chemin des Français ce qui se serait sans doute produit si la manœuvre de Boschier avait réussi. (7)

En 1437, le château de Saint-Denis-le-Gast repris aux Anglais est à nouveau leur possession grâce au comte d’Arundel, qui battit les Français à Champrepus, puis rasé ainsi que le château de Saint-Pierre-Langers et le fort de Granville.

En 1443, le comte de Sommerset débarque à Cherbourg à la tête de huit mille hommes. Une armée française commandée par Arthur de Richemont pénètre en Basse-Normandie où partout le peuple se soulève contre les Anglais.

La reconstruction du château

 

 En 1439, lord Scales, parait chargé de la défense de Gavray, bien qu’il ne soit pas nommé comme capitaine, il fortifie Gavray. (8)
Un document de l’échiquier normand en date du 10 avril 1441 refuse le paiement d’une partie des salaires de sa suite personnelle qui comprenait 20 hommes d’armes et 60 archers pour la période de mars à septembre 1440. En effet, il n’avait exécuté que partiellement l’ordre qui lui avait été adressé d’envoyer ses hommes au siège de Barfleur. Il en avait conservé une partie pour la défense de Gavray.  La situation, dans la région, devait lui paraître préoccupante pour refuser d’obtempérer à un tel ordre. (9)

En 1443, on retrouve Hue Spencer à Gavray. Il s’agit de reprendre Granville occupé par les Français. L’effort de guerre est énorme de la part des Anglais dans toute la zone frontière. Un mandat de Simon Morhier, conseiller du roy (…), trésorier et general gouverneur de ses finances en France et Normendie adressé à Jehan de Semilly, receveur general es bailliages de Caen et Costentin, concernant :

« l’entretenement des gens d’armes et de trait tenans les frontieres à Hambuye, Villedieu, Gavray, Renneville et ailleurs illec environ à l’encontre des ennemis et adversaires du roy (notre) dit seigneur occupans la place et forteresse de Grantville ».

Il mande expressément que les gages des hommes d’armes soient payés sans retard, par crainte de défections.
Comparé aux siècles précédents, les chiffres sont énormes :

-86 lances à cheval et 370 archers sous Thomas, sire de Scales et Guillaume Lucy : « tant les gens de sa conduite comme des garnisons de Dompfront, Vire, Essay, et d’autres gens non estans d’aucunes garnisons et retenues. »

-79 lances à cheval et 262 archers, sous Mathieu Goth : « gens non estans d’aucune garnison retenue. »

-13 + 30 sous Laurent Reynfford : « non estans d’aucunes garnisons ou retenues ».

-9 + 27 sous Richard Pontdesey : « de la garnison de Falaise ».

-19 archers sous James Heyd : « de la retenue du bailli de Caen ».

-20 archers sous Christophe Aystow : « même retenue ».

-20 archers sous Hue Spencer.

-7 + 40 sous Guillaume Portier (10).

 

Le 5 juin suivant, on retrouve les archers de Hue Spencer à Gavray. Henri VI mande aux trésoriers et gouverneurs généraux de ses finances de payer leurs gages et donne la raison de leur présence à Gavray 

Henri VI,
peinture anonyme, National Portrait Gallery, fin du XVIe ou début du XVIIe siècle.

« entre autres choses, eus testé advisé et ordonné que, du nombre de dix lances à pié et trente archiers que piéça avions ordonné estre au dit lieu de Grantville, pour entendre ordinairement à la garde et defense d’icellui, et lesquelz, à l’occasion de ce que la dicte place est de present ocupée par noz diz ennemis, comme dit est, n’i servent plus, seroient bailliez en charge à nostre bien amé Hue Spencier, escuier, nostre bailli de Cotentin, une lance a cheval et vingt archiers, pour iceulx tenir au lieu et place de Gavrey, et illec entendre continuelment à la garde er defense du dit lieu, oultre autres gens que pour semblable cause il y avoit et tenoit, quelle chose estoit bien neccessaire, atendu la situacion de la dicte placequi est bien prouchaine du dit lieu de grantville....(11)

La pression monte en cette année 1443, les garnisons sont constamment renforcées :

-le 6 octobre, 21 hommes d’armes et 60 archers provenant de la garnison de Domfront, sont rassemblés à Gavray où ils ont reçu l’ordre de se rendre sous le commandement de Lord Scales, avec d’autres détachements (12).

-le 12 décembre, c’est la montre de 

« certains gens darmes et de trait daucunes garnisons et retenues comme dautres mis et fournis ou lieu daucunes defaillans desdits garnisons et retenues ordonnez servir soubz et en la compaignie de monsieur de Scales seneschal de Normandie a Gavray et illec environ pour tenir frontier a lencontre des ennemis et adversaires du roy estans a Granville ».

Liste des troupes en question :
- 29 hommes d’armes à cheval (retenue personnelle de Scales),
- 3 hommes d’armes et 9 archers, à la place de ceux manquants dans le détachement de Cherbourg,
- 1 + 10, pour ceux manquants de Bayeux,
- 1 + ?, pour ceux manquants de Caen,
- 1 + 10 de la garnison de Carentan,
- 17 + 43 de la garnison de Vire,
- 5 archers du Pont-d’Ouve,
- 10 archers de Saint-Lô (13).

On ne sait pas combien de temps ces troupes séjournent à Gavray, où les allées et venues sont incessantes.
On peut supposer que de nombreux travaux d’aménagements ont eu lieu pendant cette période d’occupation vu l’état de ruine dans laquelle devait se trouver la forteresse à l’arrivée des Anglais et à l’afflux de soldats. Une seule mention dans les textes concerne la chapelle qui vient d’être restaurée en 1443.

En 1444, les fortifications de 1439 sont complétées par un nouveau donjon. Un mandement d’Henri VI, du 10 janvier 1444, relatif à la levée de la somme de 1 100 livres tournois sur les habitants du baillage du Cotentin, « pour estre convertie et employée es ouvrages, edifices et perfection du donjon du lieu et place forte de Gavray ».  Il s’agit du massif bâtiment carré dont on voit aujourd’hui la base et que la fouille a permis d’identifier

 

En mai 1444, de longs pourparlers franco-anglais aboutissent à une trêve générale, valable jusqu’au 1er avril 1446, la trêve de Tours. Les nouveaux contrats établis pour les capitaines de garnison reflètent cette trêve. Hue Spencer est confirmé comme capitaine de Gavray pour un an à partir du 29 juin, avec une troupe réduite composée d’un homme à cheval, 8 fantassins et 27 archers. (14)
En novembre 1446, la montre de la garnison de Gavray se fait sous le commandement de Thomas Chiseval, homme à cheval. Elle se compose de 7 fantassins, et 24 archers, tous anglais. (15)
En 1447, le nouveau capitaine est Andre Trolopp, qui gardera ce poste jusqu’à la reconquête française.
La guerre se fait à nouveau sentir dès 1448. Du 19 septembre au 28 mars 1449 (au moins) Trolopp reçoit 10 hommes d’armes à cheval et 30 archers supplémentaires. (16)

Le siège du château de Gavray

 

En octobre 1449, des troupes se rassemblent pour faire le siège de Gavray. Les historiens qui parlent de Gavray, remarquent que les armées qui prétendent s’en emparer, commencent par occuper toute la contrée environnante et les lieux fortifiés avant de l’attaquer.
 Le siège, dirigé par Jacques de Luxembourg, dure plusieurs jours sans que l’attaque ait fait des progrès tant le lieu est « haut et avantageux » pour la défense et courageusement tenu par les Anglais. Un émissaire est alors envoyé à Arthur de Richemont pour le presser d’accourir à l’aide des assiégeants. Un fort assaut conduit avant son arrivée, cause la mort de nombreux français, et se solde par la prise de quelques positions avancées.

Jacques de Luxembourg-Ligny, illustration des Statuts, Ordonnances et Armorial de l'Ordre de la Toison d'Or, 1473.

L’arrivée du Connétable, avec de nouvelles troupes, ravive les énergies et une attaque générale est lancée sans beaucoup plus de succès que les précédentes à l’exception de la prise du « boulevard », première ligne de fortifications. Des négociations s’engagent alors, elles se concluent par la reddition de la garnison anglaise contre la remise de lettres de rémission.

 
boulevard, première ligne de fortifications

«  Néanmoins, messire Geoffroy de Couvran qui faisait le guet, mina la place et fit approche telles qu’icelui le dit Gavray fut assailli bien vaillamment, tellement que les Anglais, qui étaient 100 à 120 combattants, demandèrent à parler pour leur composition……..lesquels moyennant icelle eurent la permission de s’en aller eux et leurs biens…. »

Jacques de Luxembourg, lieutenant du Connétable, pris la place de capitaine-gouverneur du château de Gavray aux lieu et place du sire de Trolopp.

Quelques jours après la reddition du château de Gavray, le roi de France Charles VII faisait une entrée solennelle à Rouen.

 

L’année suivante, le 15 avril, c’est la bataille de Formigny, puis la chute de Vire, Bayeux et Caen en juin. Enfin, en août la reddition des dernières places anglaises : Falaise, Domfront et Cherbourg.
La guerre de Cent Ans s’achève et le château de Gavray entre définitivement dans le domaine français.

Bataille de Formigny, miniature attribuée à Philippe de Mazerolles tirée des Chroniques de Charles VII de Jean Chartier, BNF, Fr.1691.

Notes et références :
1. G. Dupont « Histoire du Cotentin et de ses Isles » P. 37 et 38 cite en référence : Ms de DLN volume 2 p.151, chambre des Comptes de Paris, Rég. D, fol. 215
2. ibidem p.70
3. R. Jouet « La résistance à l’occupation anglaise en Basse Normandie », Cahier des annales de Normandie n°5, 1969 Caen
4. ibidem p.97
5. ibidem p.110
6. ibidem p. 120
7. ibidem p.138
8. Chronique du Mont Saint-Michel
t.1 p.40
9. Dr Anne Curry, « Lecturer in History », University of Reading B.N. N.A 7628/420
10. Chronique du Mont Saint-Michel,
Pièces diverses, du 16 avril 1443 à Gavray (B.N. Quittancest. 80 n° 4780)
11. ibidem, du 5 juin 1443 à Rouen (A.N. sect Hist K67 n° 21/5
12. British Library, London – Additionnal Charter 12198
13. B.N. ms fr 25777/1662
14. B.L. Add Ch 1504
15. B.N. ms fr 25777/1758)
16. B.L. Add Ch 8036

 

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